La préfecture s’est déchargée de ses missions

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En 2022, il ne fait pas bon être étranger en France. Le chemin est semé d’embûches pour qui doit renouveler son titre de séjour. Pour les accompagnants, chaque démarche est synonyme de casse-tête.

Une personne étrangère est-elle un être humain ? Volontairement provocatrice, je veux par cette question interpeller à mon modeste niveau les préfectures – et plus particulièrement, évidemment, les personnes décisionnaires.

Écrivain public dans plusieurs structures, j’accompagne des étrangers dans leurs démarches administratives. Celles-ci se déroulent de plus en plus souvent en ligne. Titres de séjour, naturalisations, Documents de Circulation pour Étrangers Mineurs (DCEM)… sont au programme de mes permanences. Le nombre de ces démarches a explosé ces derniers mois puisque les demandeurs n’ont plus d’interlocuteur à la préfecture.

Une simplification uniquement théorique

Même avec de l’habitude, je me sens souvent démunie face à ces procédures en ligne. Les démarches sont simplifiées ? Uniquement en théorie. Les procédures de dépôt des demandes changent constamment : site de la préfecture, puis demarches-simplifiees.fr, puis le site des étrangers en France. Et, selon les demandes, tout ne se fait pas sur le même site. Je n’évoque pas les bugs qui complexifient encore la démarche. Parfois, une bonne nouvelle : « Vous pouvez prendre rendez-vous en ligne » ; mais la tentative aboutit à : « Pas de créneaux disponibles ».

De plus, il est impossible de joindre un agent de la préfecture pour obtenir de l’aide afin de répondre à un cas particulier – rappelons qu’un écrivain public n’a pas les compétences d’un agent de la préfecture ! Une fois la démarche réalisée, la personne reçoit une ou plusieurs réponses automatiques, bien souvent inadaptées à son cas personnel. Ou on lui demande à plusieurs reprises les mêmes documents. Ou alors, tout bonnement, elle n’obtient pas de réponse.

Pour tous, la pression est insupportable

Ces longues démarches décourageantes provoquent des situations parfois dramatiques, tout au moins psychologiquement difficiles. Si réponse il y a, elle arrive souvent trop tardivement. Certains perdent leur travail et ne sont pas toujours sûrs d’être réintégrés par leur employeur. D’autres ne peuvent aller voir leur famille au pays, parfois pendant plusieurs années. Tous sont asphyxiés par le coût des titres de séjour (de l’ordre de 225 €). Enfin, toujours, le sentiment d’un traitement déshumanisé : des numéros, ce qu’ils sont devenus aux yeux des préfectures.

Les personnes sont de plus en plus désemparées, et de fait de plus en plus tendues. Ne le serions-nous pas si l’on nous réservait le même traitement ? Pour la professionnelle que je suis, la pression devient difficile à supporter. Il m’arrive de ressortir d’une permanence complètement découragée.

Que sommes-nous devenus ?

Vous l’aurez compris, je dénonce ce traitement. Aujourd’hui, il y a maltraitance. Maltraitance des personnes étrangères. Maltraitance des personnes qui les accompagnent. Maltraitance des structures qui tentent tant bien que mal de pallier la défection des administrations concernées. L’absence de lien direct, qui amène à la multiplication des messages par voie dématérialisée, est-elle synonyme d’efficience ?

Prenons un peu de distance, et regardons-nous : que sommes-nous devenus pour avoir supprimé tout contact humain dans certains services publics ?


Pour aller plus loin

– Rapport de la Défenseure des Droits sur la dématérialisation des services publics (2022)
– « Ce n’est pas à l’usager de s’adapter à la dématérialisation des services publics » (France Inter – 16 février 2022)
– « Dématérialisation : des centaines d’associations veulent « un service public plus humain et ouvert » (Le Figaro – 23 février 2022)
« La préfecture doit mettre en place des alternatives ‘effectives et crédibles’ à la dématérialisation » (La Cimade – 21 juillet 2022)


C'est du vécu !

Madame D. envoie sa demande de Document de Circulation pour Étranger Mineur (DCEM) par courrier en avril 2021. Après cet envoi, je l’accompagne pour une suite sans fin de démarches qui, en mai 2022, n’ont toujours pas abouti :

  • 14/06/21 : demande de nouvelles à la préfecture par mail
  • 16/07/21 : demande de nouvelles par courrier avec accusé de réception
  • 30/08/21 : demande de nouvelles par mail
  • 20/09/21 : demande de DCEM refaite sur www.demarches-simplifiees.fr (procédure qui s’imposait alors)
  • 11/10/21 : demande de nouvelles par mail
  • 15/11/21 : orientation vers un délégué du Défenseur des Droits
  • 28/02/22 : demande de nouvelles par mail
  • 12/04/22 : réception d’un mail de la préfecture… invitant madame D. à refaire toute la démarche sur le site des étrangers en France !
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