Au hasard de mes pérégrinations estivales, j’ai découvert un charmant village du livre. Un beau concept rendu vivant par l’accueil et la simplicité de ses habitantes et habitants. Récit de ce périple dont le fil rouge, le livre, invite à des découvertes inattendues.
Imaginez un village où le livre est roi. Un village jalonné de librairies et d’artistes en lien avec le livre. Le paradis des amoureux de l’écrit, professionnels et amateurs, badauds d’un jour ou curieux de toujours.
Ce village existe. Avec une amie, nous y avons atterri par hasard en plein mois de juillet. Redu, le village du livre, est situé dans les Ardennes belges à trois heures de Paris. Nous avons découvert un joli lieu, où nous avons été partout accueillies avec simplicité et chaleur. Ici, les touristes sont les bienvenus – un office du tourisme, quatre restaurants –, mais font partie du village, même s’ils n’y passent que quelques heures. On s’y sent « comme à la maison » au milieu des bâtisses en pierre parfaitement rénovées, dans des rues presque trop propres.
Bleuets et poireaux charment le papier
En amont de l’église se situe l’atelier de fabrication artisanale de papier. « Monsieur Papier », comme le surnomme la relieuse que nous rencontrerons par la suite, nous accueille dans son refuge plein à craquer de vieux outils, d’anciennes presses d’imprimerie, de bocaux, de photos. Derrière sa paroi transparente, Covid oblige, sa cuve est remplie d’eau, de colle et de pierre d’alun, dans lesquels baigne le coton. Car ici, c’est le coton qui fait le papier. Au fond, la grande presse rouge attend de s’activer.
René plonge sa palette, la ressort, la penche pour l’égoutter, la renverse pour sortir les deux rectangles de coton imbibés d’eau. Il les presse avec une sorte de tapis, pour ensuite les faire sécher. Il nous montre les feuilles de papier créées, fruit de ses recherches. Aucune n’est identique à l’autre, mais toutes renferment le secret de leurs matières naturelles : des espèces variées de fleurs – pétales de bleuet ou d’hortensia –, des fougères, des légumes – poireau, carotte, chou rouge, rhubarbe, maïs… –, du tabac séché, des vieux jeans. « Le poireau doit être cuit quatorze minutes, pas une de plus. Sinon il colle des deux côtés, et alors là, c’est foutu. » René a de l’imagination, et croyez-moi, ses feuilles de papier sont superbes.
Le lendemain, hors des horaires d’ouverture de son « musée », je lui demande si je peux le photographier. Gentiment, il décline, il a des choses à faire. Puis il nous rappelle : « C’est trop bête, vous êtes là ». Et il joue le jeu, se remet en scène et me commande : « À trois, vous appuyez sur le déclencheur pour voir l’eau couler ». À trois, j’appuie sur le déclencheur. « Monsieur Papier » partage encore son métier, nous raconte les écoliers qui viennent le voir, regrette ceux qui ne quittent pas leur portable. Il nous parle d’un imprimeur dans un village voisin qu’il faut absolument aller voir, cet homme « qui pourra assembler des mots avec les casses en un temps record ».
La reliure, touche finale de magnifiques carnets
Plus bas dans le village, nous entrons dans l’atelier de reliure. Anne crée ses carnets à la main avec les feuilles de « Monsieur Papier ». Spontanément, elle nous explique comment elle procède. Selon la technique, elle coud chaque feuille ou les colle. J’en achète un, murmurant que je ne saurai jamais écrire sur un papier aussi beau. « Au contraire, les carnets sont des objets utilitaires. Il faut les faire vivre ! »
En sortant, nous remontons une autre rue, à l’est du village. Nous approchons de l’atelier de calligraphie. Un vieux monsieur ouvre la porte : « Si si c’est ouvert, entrez ». Monsieur est passionné. Presque sans un mot, il déchire une feuille, trempe son outil dans l’encre – calame, plume d’oie, pinceau chinois –, le tient à la verticale ou le penche à des degrés variés, et trace. Le texte ne sert que le dessin. Parfois, il n’y a même pas de texte. Nous découvrons ses réalisations encadrées sur les murs. Il feuillette pour nous des livres dans lesquels il a calligraphié les clichés d’une photographe. Il me donne le nom de deux calligraphes à Paris : « Il faut aller les voir ».
En sortant de sa boutique, nous descendons vers le bas du village, et découvrons dans la rue un organiste. Un tournage est en cours dans lequel il est figurant ; apparemment, un producteur veut créer un festival littéraire, il utilise Redu en décor pour promouvoir son projet. Chaque rue et chaque boutique sont décidément une invitation à la surprise.
Ces habitants qui regorgent d’idées pour faire vivre leur village
Créé en 1984, Redu a compté jusqu’à trente-cinq librairies et bouquineries spécialisées – dans la BD, le régionalisme, les langues étrangères, l’histoire. Aujourd’hui, elles ne sont plus que dix, un chiffre qui devrait encore baisser. Car l’une des libraires, gravement malade, devrait fermer boutique prochainement. Un autre, qui tient « L’archiviste qui marchait très bien autrefois », ne trouve pas de repreneur, nous confie sa femme rencontrée dans la rue. Alors, des artistes devraient grossir les rangs du village pour continuer à le faire vivre. Tatiana, céramiste depuis cinq ans, nous accueille chaleureusement dans sa petite boutique. Une belle rencontre avec une Française. Sa reconversion lui permet de s’épanouir dans la création : les formes, mais surtout les couleurs. Le joli bleu qui fait son chemin vers le noir n’est pas le fruit du hasard, mais de nombreuses recherches. La cuisson de la terre est toujours une surprise, mais à force de travail, elle parvient à obtenir ce qu’elle veut… ou pas.
Après la visite, nous quittons notre chambre d’hôte, La réduiste, une bicoque atypique dont les murs sont tapissés de livres. Depuis la crise sanitaire, ses propriétaires s’occupent des chambres habituellement en gérance. Mais en août, ils retrouveront leur travail dans leur pays d’adoption, le Kenya. Anthe, hollandaise, travaille à la fluidité des relations commerciales et des marchandises. Johan, belge, produit des séries radiophoniques pour participer à la lutte contre les génocides. Un couple charmant, surprenant, riant beaucoup, très attentif.
C’est avec regret que nous quittons Redu, véritable coup de cœur. Sa situation géographique en pleine vallée de la Lesse invite aux balades bucoliques, dans un environnement de sapins. Redu a tout pour plaire aux amoureux des livres et aux adeptes de chaleur humaine en quête d’évasion et de surprises.
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Le concept de village du livre est né en 1962 à Hay-on-Wye au Royaume-Uni. Jumelé avec ce village, Redu s’en inspire et crée son propre village du livre en 1984. Bécherel (Ille-et-Vilaine) est le premier village du livre créé en France en 1987. Suivent Montolieu (Aude), Fontenoy-la-Joûte (Meurthe-et-Moselle), Cuisery (Saône-et-Loire), La Charité-sur-Loire (Nièvre), Montmorillon (Vienne), Ambierle (Loire) et Esquelbecq (Nord). Ces villages du livre sont souvent des petites villes à potentiel touristique […], mais dont l’activité et la population étaient en déclin avant leur conversion (source : Wikipedia).